Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/157

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On n’avait pas à craindre dans son amitié ces orages qui troublèrent si souvent celle de Cicéron et de Brutus. C’était plutôt une de ces intimités calmes et sans secousses qui s’affermissent tous les jours par leur durée régulière. Voilà surtout ce qui devait charmer ces hommes politiques, étourdis et fatigués par cette activité bruyante où s’épuisait leur vie. Au sortir de ce tourbillon des affaires, ils étaient heureux de trouver, à quelques pas du forum, cette maison paisible du Quirinal où les querelles du dehors ne parvenaient pas, et d’aller causer un moment avec cet homme d’esprit d’une humeur si égale, qui les accueillait toujours avec le même sourire et dans l’affection duquel on se reposait si tranquillement.

Mais rien assurément n’a dû lui concilier autant d’amis que son obligeance. Elle était inépuisable, et l’on ne pouvait pas prétendre qu’elle fût intéressée, puisque, contrairement à l’usage, il donnait beaucoup et n’exigeait rien. C’est encore là une des raisons pour lesquelles ses amitiés furent si solides, car ce sont toujours ces sortes d’échanges qu’on se croit en droit de réclamer, ces comparaisons qu’on fait malgré soi entre les bons offices qu’on rend et ceux qu’on a reçus, qui finissent par troubler les affections les plus fermes. Atticus, qui le savait bien, s’était arrangé de façon à n’avoir besoin de personne. Il était riche, il n’avait jamais de procès, il ne sollicitait pas les dignités, en sorte qu’un ami déterminé à reconnaître les services qu’il en avait reçus, n’en pouvait guère trouver l’occasion[1]. On demeurait son obligé, et la dette allait toujours en s’agrandissant, car il ne se lassait jamais d’être utile. Nous

  1. Il faut pourtant remarquer que la dernière lettre que nous ayons de Cicéron à Atticus (XVI, 16), contient la preuve de démarches très actives que Cicéron avait faites pour sauver une partie de la fortune d’Atticus compromise après la mort de César.