Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/162

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complaisants et des admirateurs, du milieu de cette foule et de ce bruit, il se retournait toujours avec regret vers son ami absent. « Avec tout ce monde, lui disait-il, je me trouve beaucoup plus seul que si je n’avais que vous[1]. » Tout ce monde en effet se compose d’amis politiques qui changent avec les événements, qu’une communauté d’intérêt vous donne et qu’une rivalité d’ambition vous enlève ; avec eux, Cicéron est forcé d’être réservé et discret, ce qui est un supplice pour une nature aussi ouverte. Au contraire, il peut tout dire à Atticus, et se confier à lui sans contrainte. Aussi s’empresse-t-il de réclamer sa présence au moindre ennui qui lui survient. « Je vous désire, lui écrit-il, j’ai besoin de vous, je vous attends. J’ai mille choses qui m’inquiètent, qui me chagrinent, et dont une seule promenade avec vous me soulagera[2]. » On n’en finirait pas, si l’on voulait réunir tous ces mots charmants dont la correspondance est remplie, et par lesquels le cœur s’exprime. Ils ne laissent aucun doute sur les sentiments de Cicéron : ils prouvent qu’il ne regardait pas seulement Atticus comme un de ces amis solides et sérieux sur l’appui desquels on peut compter, mais aussi, ce qui est plus surprenant, comme une âme délicate et tendre : « Vous prenez votre part, lui dit-il, de toutes les afflictions des autres[3]. »

Voilà qui nous éloigne beaucoup de l’idée que nous nous faisons ordinairement de lui, et pourtant il n’est guère possible de résister à des témoignages si formels. Comment pourrions-nous prétendre qu’il n’avait pour ses amis qu’une affection douteuse, quand nous voyons tous ses amis s’en contenter ? Avons-nous le droit d’être plus exigeants qu’eux, et ne serait-ce pas faire injure à des gens comme Brutus et Cicéron, que de supposer

  1. Ad Att., XII, 51.
  2. Ad Att., I, 18.
  3. Ad Att., XII, 14,