Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/170

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agir trop mollement, lui qui n’agissait pas du tout. Il fait bon entendre les reproches qu’il adresse à Cicéron, quand il le voit hésiter à aller rejoindre Pompée : il prend le ton le plus pathétique, il lui rappelle ses actions et ses paroles, il le conjure au nom de sa gloire, il lui cite ses propres écrits pour le décider[1]. Cet excès d’audace où il se laisse ainsi entraîner pour les autres a produit quelquefois des incidents assez comiques. Au moment où Pompée venait de s’enfermer dans Brindes, Atticus, ému de la plus vive douleur, voulait qu’on tentât quelque chose pour le sauver, et il allait jusqu’à demander à Cicéron de faire, avant de partir, quelque action d’éclat. « Il ne faut qu’un drapeau, lui disait-il, tout le monde viendra s’y ranger[2]. » Le bon Cicéron se sentait tout excité par ces vives exhortations de son ami, et il y avait des moments où il était tenté d’avoir de l’audace et où il ne demandait qu’une occasion pour frapper un grand coup. L’occasion s’offrit, et voici comment il raconte qu’il en profita. « Comme j’arrivais à ma maison de Pompéi, Ninnius, votre ami, vint me dire que les centurions de trois cohortes qui s’y trouvaient demandaient à me voir le lendemain ; qu’ils voulaient me livrer la place. Savez-vous ce que je fis ? Je partis avant le jour, afin de ne pas les voir. En effet, qu’est-ce que trois cohortes ? Et quand il y en aurait eu davantage, qu’est-ce que j’en aurais fait ?[3] » C’était parler en homme sage, et qui se connaît bien. Quant à Atticus, on se demande s’il était bien sincère dans l’ardeur qu’il témoignait pour sa cause, quand on le voit refuser obstinément de la servir. Ces grandes passions qui s’enferment si prudemment dans le cœur et ne se manifestent jamais au dehors sont à bon droit suspectes. Peut-être voulait-il seulement animer un peu ce rôle de spectateur

  1. Ad Att., VIII, 2.
  2. Ad Att., X, 15.
  3. Ad Att., X, 16.