Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/169

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liste. Atticus refusa net de souscrire. Il répondit que sa fortune était à la disposition de Brutus, s’il en avait besoin et la lui demandait comme à un ami ; mais il déclara en même temps qu’il ne s’associerait pas à une manifestation politique, et son refus fit manquer la souscription. À la même époque, fidèle à son usage de caresser toutes les opinions, il accueillit bien Fulvie, la femme d’Antoine, ainsi que Volumnius, son préfet des ouvriers, et, sûr d’avoir partout des amis, il attendit sans trop de crainte le résultat de la lutte.

Ce qu’il y a de plus étrange, c’est que cet homme si obstiné à rester neutre n’était pourtant pas un indifférent. Son biographe lui donne cet éloge, qu’il a toujours été du meilleur parti[1], et cela est vrai ; seulement il s’imposait la loi de ne pas servir son parti : il se contentait de faire des veaux pour lui. Mais ces vœux, il les faisait les plus ardents du monde. Il avait, le croira-t-on ? des passions politiques qui, dans l’intimité, osaient s’exprimer avec une vivacité incroyable. Il détestait tellement César qu’il allait jusqu’à blâmer Brutus d’avoir permis qu’on l’enterrât[2]. Il eût voulu sans doute, comme le demandaient les plus furieux, qu’on jetât son corps dans le Tibre. Ainsi il ne s’interdisait pas d’avoir des préférences, et de les témoigner à ses amis les plus secrets. C’est lorsqu’il fallait agir que commençait sa réserve. Jamais il ne consentit à entrer dans la lutte ; mais, s’il n’en partageait pas les dangers, il en ressentait au moins toutes les émotions. On sourit de le voir s’animer et s’échauffer, comme s’il était un combattant véritable : il prend sa part de tous les succès et de tous les revers, il félicite les énergiques, il adjure les tièdes, et même il gronde les défaillants, et se permet de donner des avis et des réprimandes à ceux qui lui semblent

  1. Cornelius Nepos, Atticus, 6.
  2. Ad Att., XIV, 10.