Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/191

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pour ces repas libres et somptueux, qu’il a composé ses plus beaux ouvrages ? C’est là sans doute, sous les ombrages des rives du Tibre, qu’a été chantée cette belle imitation qu’il avait faite pour Lesbie de l’ode la plus brûlante de Sapho. C’est peut-être au bord de la mer de Baïes, en face de Naples et de Caprée, sous ce ciel voluptueux, au milieu des séductions de ce pays enchanté, qu’ont été lus pour la première fois ces vers où tant de grâce se mêle à tant de passion, et qui sont si dignes de l’admirable paysage au milieu duquel je me plais à les placer

« Vivons, aimons, ma Lesbie, et moquons-nous ensemble de tous les reproches des vieillards sévères. Le soleil meurt pour renaître ; mais nous, quand notre courte lumière est une fois éteinte, c’est une nuit éternelle qu’il nous faut dormir sans réveil. Donne-moi mille baisers, puis cent, puis mille, puis cent encore, puis encore mille et cent nouveaux. Ensuite, quand nous nous serons embrassés des milliers de fois, nous embrouillerons le compte, pour ne plus le savoir et ne pas laisser aux jaloux un prétexte à nous envier en leur faisant connaître combien de baisers nous nous sommes donnés[1]. »

C’est un moment curieux pour la société romaine que celui où l’on y rencontre ces réunions polies, dans lesquelles on cause de tout, où les rangs sont mêlés, où les écrivains ont leur place à côté des hommes politiques, où l’on ose aimer ouvertement les arts et traiter l’esprit comme une puissance. On peut dire, pour employer une expression toute moderne, que c’est la vie du monde qui commence. Chez les vieux Romains, il n’y avait rien de semblable. Ils vivaient sur le forum ou dans leurs maisons. Entre la foule et la famille ils

  1. Cat. Carm., 5.