Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/192

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connaissaient peu cette sorte d’intermédiaire qu’on appelle le monde, c’est-à-dire ces réunions délicates et choisies, nombreuses sans confusion, où l’on est à la fois plus libre qu’au milieu des inconnus de la place publique et cependant moins à son aise que dans l’intimité de la famille. Avant d’en venir là, il fallait attendre que Rome se fût civilisée et que la littérature y eût conquis sa place, ce qui n’arriva guère que vers le dernier siècle de la république. Et même il ne faut rien exagérer. Ce monde qui commence alors nous semble encore par moments bien grossier. Catulle nous apprend que dans ces agréables repas où on lisait de si belles poésies, il y avait des convives qui volaient les serviettes[1]. Les propos qu’on y tenait étaient souvent bien risqués, à en juger par certaines épigrammes du grand poète. Clodia, qui réunissait chez elle ces hommes d’esprit, avait de singuliers écarts de conduite. Les plaisirs distingués que recherche une femme du monde étaient loin de lui suffire, et elle finit par tomber dans des excès qui faisaient rougir ses anciens amis. Eux aussi, ces héros de la mode, dont on vantait partout le bon goût, qui parlaient avec tant d’agrément et faisaient des vers si tendres, ne se conduisaient guère mieux qu’elle et n’étaient pas beaucoup plus délicats. Ils eurent bien des reproches à se faire tant que dura leur liaison avec Clodia ; lorsqu’elle fut finie, ils commirent la faute impardonnable de ne pas respecter le passé et de manquer aux égards qu’on doit toujours à une femme qu’on a une fois aimée. Catulle déchira d’épigrammes grossières celle qui lui avait inspiré ses plus beaux vers. Cælius, faisant allusion au prix dont on payait les plus viles courtisanes, l’appela en plein forum la femme au quart d’as (quadrantaria), et ce cruel surnom lui

  1. Cat. Carm., 12.