Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/199

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crétion devrait le perdre[1]. » Curion, son associé ordinaire dans les intrigues politiques, « n’est qu’un brouillon sans consistance, changeant au moindre vent, et qui ne sait rien faire de raisonnable[2], » et cependant Curion et Dolabella, au moment où il les traitait de la sorte, avaient sur lui assez de crédit pour l’entraîner avec eux dans le parti de César. Quant à César lui-même, il ne parle pas mieux de lui, quoiqu’il se dispose à embrasser sa cause. Ce fils de Vénus, comme il l’appelle, ne lui paraît « qu’un égoïste qui se moque des intérêts de la république, et ne se soucie que des siens[3], » et il ne fait pas difficulté de reconnaître que dans son camp, où il va pourtant se rendre, il n’y a « que de malhonnêtes gens, qui ont tous des sujets de crainte dans le passé et de criminelles espérances pour l’avenir[4]. » Avec une disposition d’esprit pareille et un penchant si décidé à juger sévèrement tout le monde, il était naturel que Cælius ne s’abandonnât complètement à personne, et que personne n’osât tout à fait compter sur lui. Pour servir utilement une cause, il faut s’y livrer tout entier. Or, comment pourrait-on le faire, si l’on n’est pas capable de s’aveugler un peu sur elle et de n’en pas trop voir les mauvais côtés ? Ces personnages avisés et clairvoyants, uniquement occupés de la crainte d’être dupes, et qui portent toujours avec eux une vue si nette des défauts d’autrui, ne sont jamais que des amis tièdes et des alliés inutiles. En même temps qu’ils n’inspirent pas de confiance au parti qu’ils veulent servir, parce qu’ils font toujours leurs réserves en le servant, ils ne sont pas assez susceptibles d’enthousiasme pour former eux-mêmes un parti, et manquent toujours de ce degré de passion qui fait entreprendre de grandes choses. Aussi

  1. Ad fam., VIII, 6.
  2. Ad fam., VIII, 4.
  3. Ad fam., VIII, 5. Le sens de cette phrase est changé dans Orelli.
  4. Ad fam., VIII. 14.