Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/200

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arrive-t-il que, comme ils ne peuvent être ni chefs ni soldats, et qu’il leur est impossible de s’attacher aux autres ou d’attacher les autres à eux, ils finissent par se trouver seuls.

Ajoutons que Cælius, qui n’avait pas d’illusion sur les personnes, ne semblait pas avoir non plus de préférence pour les opinions. Il n’avait jamais cherché la réputation d’être un homme à principes ni de mettre de l’ordre et de la suite dans sa vie politique. Là, comme dans ses affaires privées, il vivait d’expédients. L’occasion, l’intérêt, l’amitié, lui faisait une conviction de circonstance à laquelle il ne se piquait pas d’être longtemps fidèle. Il avait passé de Cicéron à Catilina lorsque Catilina lui avait semblé le plus fort ; il revint à Cicéron quand Cicéron fut victorieux. Il fut l’ami de Clodius tant qu’il resta l’amant de Clodia ; il abandonna le frère en même temps qu’il quittait la sœur, et embrassa brusquement le parti de Milon. Il a plusieurs fois passé, et sans avoir de scrupules ni d’embarras, du peuple au sénat et du sénat au peuple. Au fond, la cause qu’il servait lui importait peu, et il n’avait pas à faire beaucoup d’efforts pour s’en détacher. Au moment où il avait l’air de se donner le plus de mal pour elle, il en parlait d’un ton qui laissait penser qu’elle lui était très étrangère. Même dans les affaires les plus graves, et quand il s’agit du sort de la république, il ne semble pas supposer que cela le regarde en rien, et qu’il soit intéressé à son salut ou à sa perte. « C’est affaire à vous, dit-il, riches vieillards[1]. » Mais lui, que lui importe ? Comme il est toujours ruiné, il n’a jamais rien à perdre. Aussi tous les régimes lui sont-ils indifférents, et la curiosité seule lui fait-elle prendre intérêt à ces luttes, dans lesquelles il joue pourtant un rôle si actif. S’il se plonge avec tant d’ardeur dans les agitations de la vie

  1. Ad fam., VIII, 13.