Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/224

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tout perdre, et les débiteurs, qui avaient compté être tout à fait libérés, se plaignaient amèrement qu’on voulût leur faire payer quelque chose. De là des mécomptes et des murmures. « En ce moment, écrivait Cælius, à l’exception de quelques usuriers, tout le monde ici est pompéien[1]. »

Pour un ennemi caché comme Cælius, l’occasion d’éclater était bonne. Il s’empressa de la saisir et de profiter de cette désaffection dont il était témoin. Sa tactique était hardie. Prendre pour lui ce rôle de démocrate avancé, ou, comme on dirait aujourd’hui, de socialiste, dont César ne voulait pas, former de tous ces mécontents un parti plus radical et s’en déclarer le chef, tel fut le plan qu’il imagina. Pendant que les arbitres nommés pour évaluer les biens des débiteurs s’acquittaient de leur mieux de leurs fonctions délicates et que le préteur de la ville, Trébonius, jugeait les contestations qui s’élevaient à propos de leur arbitrage, Cælius fit placer sa chaise curule à côté du tribunal de Trébonius, et s’érigeant de sa propre autorité en juge des arrêts de son collègue et de son supérieur, il déclara qu’il appuierait les réclamations de ceux qui auraient à s’en plaindre ; mais, soit que Trébonius contentât tout le monde, soit plutôt qu’on eût peur de César, personne n’osa se présenter. Ce premier échec ne découragea pas Cælius : il pensa au contraire que plus la situation devenait difficile, plus il fallait payer d’audace, et, malgré l’opposition du consul Servilius et de tous les autres magistrats, il publia deux lois fort hardies, l’une qui faisait remise à tous les locataires d’un an de loyer, l’autre qui abolissait entièrement toutes les dettes. Cette fois le peuple sembla disposé à venir en aide à celui qui prenait si résolument sors parti : des troubles eurent lieu ; le sang

  1. Ad fam., VIII, 17.