Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/233

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tude immense entassée sur les places publiques ou rangée sur les degrés des temples. « Il semblait, disait-il, que toute la ville se fût arrachée de ses fondements pour venir saluer son libérateur[1]. » Chez son frère, où il allait habiter, il trouva les plus grands personnages du sénat qui l’attendaient, et en même temps des adresses de félicitations de toutes les sociétés populaires de la ville. Il est probable que parmi ceux qui les avaient signées il s’en trouvait qui, l’année précédente, avaient voté avec le même empressement la loi qui l’exilait, et que beaucoup battaient des mains à son retour qui avaient applaudi à son départ ; mais les peuples ont parfois de ces entraînements étranges et généreux. Il leur arrive de se dégager par un élan imprévu des rancunes, des méfiances, des petitesses de l’esprit de parti, et, au moment où les passions semblent le plus ardentes et les divisions le plus vives, de s’unir tout à coup pour rendre hommage à un grand talent ou à un grand caractère qui, on ne sait comment, les a vaincus. D’ordinaire, ces mouvements de reconnaissance et d’admiration s’arrêtent vite ; mais n’eussent-ils duré qu’un jour, ils sont un honneur immortel pour celui qui en a été l’objet, et l’éclat qu’ils laissent suffit à éclairer toute une vie. Aussi faut-il pardonner à Cicéron d’avoir parlé si souvent et avec tant d’effusion de ce beau jour. Un peu d’orgueil était ici légitime et naturel. Comment une âme aussi tendre aux applaudissements populaires aurait-elle résisté à l’ivresse d’un retour triomphal ? « Je ne crois pas seulement revenir de l’exil, disait-il ; il me semble que je monte au ciel[2]. »

Mais il ne tarda pas à redescendre sur la terre. Quoi qu’il eût pu croire au premier moment, il reconnut bientôt, que cette ville qui l’accueillait avec tant de fêtes

  1. In Pisonem, 22.
  2. Pro Dom., 28.