Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/247

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arts tranquilles, avait été placé, par un caprice du sort, dans une des époques les plus violentes et les plus troublées de l’histoire. Que pouvait faire, parmi ces luttes sanglantes où la force était maîtresse, un homme de loisir et d’étude, qui n’avait d’autre arme que sa parole et qui rêvait toujours les plaisirs de la toge et les lauriers pacifiques de l’éloquence ? Il fallait une âme plus virile que la sienne pour tenir tête à ces assauts. Les événements, plus forts que lui, confondaient à chaque instant ses desseins et se jouaient de sa volonté hésitante. À son entrée dans la vie politique, il avait pris pour devise le repos et l’honneur, otium cum dignitate ; mais ce ne sont pas deux choses qu’il soit facile d’unir ensemble en des temps de révolution, et presque toujours on perd l’une des deux quand on veut trop conserver l’autre. Les caractères résolus, qui le savent bien, font tout d’abord leur choix entre elles, et, selon qu’on est Caton ou Atticus, on se décide dès le premier jour pour le repos ou pour l’honneur. Les indécis, comme Cicéron, passent de l’un à l’autre, selon les circonstances, et les compromettent à la fois tous les deux. Nous sommes arrivés, dans l’histoire de sa vie, à l’un de ces moments pénibles où il sacrifie l’honneur au repos ; ne lui soyons pas trop sévères, et souvenons-nous que plus tard il a sacrifié non seulement son repos, mais même sa vie, pour sauver son honneur.

II

Un des résultats de la nouvelle politique de Cicéron fut de lui donner l’occasion de bien connaître César. Ce n’est pas qu’ils eussent été jusque-là étrangers l’un à l’autre. Le goût qu’ils avaient tous deux pour les lettres, la communauté de leurs études, les avaient réunis dans