Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/319

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grands compliments. L’éloge n’est pas tout à fait juste il ne les réconciliait pas, il les annihilait. Dans le régime monarchique qu’il voulait établir[1], les anciens partis de la république n’avaient pas de place. Il s’était adroitement servi des discussions du peuple et du sénat pour les dominer tous les deux ; le premier résultat de sa victoire fut de les mettre à l’écart l’un et l’autre, et l’on peut dire qu’après Pharsale, à l’exception de César lui-même, il n’y avait plus que des vaincus. C’est ce qui explique qu’une fois victorieux il se soit servi indifféremment des partisans du sénat comme des démocrates. Cette égalité qu’il mettait entre eux était naturelle, puisqu’ils étaient tous devenus également et sans distinction ses sujets. Il savait bien seulement qu’en acceptant les services d’anciens républicains il n’aurait pas des instruments toujours dociles, qu’il serait forcé de leur accorder une certaine indépendance d’action et de parole, de conserver, au moins pour les dehors, quelque apparence de république ; mais cela même ne lui faisait pas trop de peine. Il n’avait pas pour la liberté ces répugnances invincibles des princes qui, étant nés sur un trône absolu, n’en connaissent le nom que pour la redouter et la maudire. Il avait vécu vingt-cinq ans avec elle, il en avait pris l’habitude, il en connaissait l’impor-

  1. Comme l’œuvre de César a été interrompue par sa mort, il n’est pas facile de dire quels étaient ses projets. Les uns veulent qu’il n’ait souhaité qu’une sorte de dictature à vie ; le plus grand nombre suppose qu’il pensait à établir définitivement un régime monarchique. La question est trop grave pour être abordée incidemment et vidée en quelques mots. Je dirai seulement que peut-être il ne pensait d’abord qu’à la dictature ; mais à mesure qu’il devenait plus puissant, il semble que l’idée de fonder une monarchie prenait plus de consistance dans son esprit. Toutefois on peut inférer d’un passage de Plutarque (Brutus, 7) qu’il n’était pas encore fixé, quand il mourut, sur la question de l’hérédité.