pas la peine de dissimuler ses opinions ; il exprime librement ses regrets, parce qu’il sait bien qu’on les partage. Il parle à Servilius Isauricus, proconsul d’Asie, comme à un homme que le pouvoir absolu d’un seul ne satisfait pas et qui souhaite qu’on y mette quelques limites[1]. Il dit à Cornificius, gouverneur d’Afrique, que les affaires vont mal à Rome, et qu’il s’y passe bien des choses dont il serait blessé[2]. « Je sais ce que vous pensez de la fortune des honnêtes gens et des malheurs de la république, » écrit-il à Furfanius, proconsul de Sicile, en lui recommandant un exilé[3]. Ces personnages pourtant avaient accepté de César des fonctions importantes : ils partageaient son pouvoir, ils passaient pour ses amis ; mais tous les bienfaits qu’ils avaient reçus de lui ne les avaient pas entièrement attachés à sa cause. Ils faisaient leurs réserves en le servant, et ne se livraient qu’à moitié. D’où pouvaient venir ces résistances que rencontrait le gouvernement nouveau parmi des gens qui avaient accepté d’abord d’en faire partie ? Elles tenaient à divers motifs qu’il est facile de signaler. Le premier, le plus important peut-être, c’est que ce gouvernement, même en les comblant d’honneurs, ne pouvait pas leur rendre ce que l’ancienne république leur aurait donné. Avec l’établissement de la monarchie, une révolution importante s’accomplit dans toutes les charges publiques : les magistrats devinrent des fonctionnaires. Autrefois les élus du suffrage populaire avaient le droit d’agir comme ils voulaient dans la sphère de leurs fonctions. Une initiative féconde animait à tous les degrés cette hiérarchie de dignités républicaines. Depuis l’édile jusqu’au consul, tous étaient souverains chez eux. Ils ne pouvaient plus l’être sous un gouvernement absolu. Au lieu d’administrer pour leur compte, ils n’étaient plus, pour ainsi dire, que des ca-
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