Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/351

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le monde, et c’est par elle que la sagesse des Grecs, rendue plus solide à la fois et plus transparente, est arrivée jusqu’aux peuples de l’Occident. Cette philosophie date de Pharsale, comme l’empire, et elle doit beaucoup à la victoire de César, qui, en supprimant la vie politique, força les esprits curieux à chercher d’autres aliments à leur activité. Accueillie d’abord avec enthousiasme par toutes les âmes souffrantes et désœuvrées, elle devint de plus en plus populaire à mesure que l’autorité des empereurs se faisait plus lourde. À cette domination absolue que le pouvoir exerçait sur les actions extérieures, on était heureux d’opposer la pleine possession de soi que donne la philosophie ; s’étudier, s’enfermer en soi-même, c’était échapper par un côté à la tyrannie du maître, et, en cherchant à se bien connaître, on semblait agrandir le terrain où sa puissance n’avait pas d’accès. Les empereurs le comprirent bien ; ils furent les mortels ennemis d’une science qui se permettait de limiter leur autorité. Avec l’histoire, qui rappelait des souvenirs fâcheux, elle leur fut bientôt suspecte ; c’étaient, dit Tacite, deux noms déplaisants aux princes, ingrata principibus nomina.

Je n’ai pas à faire voir pourquoi tous les ouvrages de philosophie composés à la fin de la république ou sous l’empire ont une importance beaucoup plus grande que les livres que nous écrivons aujourd’hui sur les mêmes sujets : on l’a trop bien dit déjà pour que j’aie à y revenir[1]. Il est certain qu’en ce temps où la religion se bornait au culte, où ses livres ne contenaient que des recueils de formules et le détail minutieux des pratiques, et où elle ne se piquait d’apprendre à ses adeptes que la science de sacrifier selon les rites, la philosophie seule

  1. Voyez sur cette question l’ouvrage si intéressant de M. Martha, les Moralistes sous l’Empire romain.