Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/353

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Scapula, qui ne peut plus résister dans Cordoue, fait construire un bûcher et se brûle vivant ; lorsque Décimus Brutus, fugitif, hésite à choisir ce remède héroïque, Blasius, son ami, se tue devant lui, pour lui donner l’exemple. À Philippes, c’est un véritable délire. Ceux mêmes qui pouvaient se sauver ne cherchent pas à survivre à leur défaite. Quintilius Varus se revêt des ornements de sa dignité et se fait tuer par un esclave ; Labéon creuse lui-même sa fosse et se tue sur le bord ; le jeune Caton, de peur d’être épargné, jette son casque et crie son nom ; Cassius est impatient et se tue trop tôt ; Brutus clôt la liste par un suicide étonnant de calme et de dignité. Quel étrange et effrayant commentaire des Tusculanes, et comme cette vérité générale, ainsi pratiquée par tant de gens de cœur, cesse d’être un lieu commun !

C’est avec le même esprit qu’il faut étudier les trop courts fragments qui restent des ouvrages philosophiques de Brutus. Toutes les pensées générales qu’on y trouve ne paraîtront plus insignifiantes et vagues quand on songera que celui qui les a formulées a prétendu aussi les mettre en pratique dans sa vie. Le plus célèbre de tous ces écrits de Brutus, le traité de la Vertu, était adressé à Cicéron et digne de tous les deux. C’était un bel ouvrage qui plaisait surtout parce qu’on sentait que l’écrivain était bien convaincu de tout ce qu’il disait[1]. Il nous en reste un passage important conservé par Sénèque. Dans ce passage, Brutus raconte qu’il vient de voir à Mitylène M. Marcellus, celui auquel César pardonna plus tard à la prière de Cicéron. Il l’a trouvé tout occupé d’études sérieuses, oubliant sans peine Rome et ses plaisirs, et goûtant dans ce silence et ce repos un bonheur qu’il n’avait jamais connu. « Quand il fallut le

  1. Quint., X, 1.