Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/360

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avait voulu continuer les traditions de la guerre précédente, ce chef était tout trouvé : il restait un fils de Pompée, Sextus, échappé par miracle de Pharsale et de Munda, et qui avait survécu à tous les siens. Vaincu, mais non découragé, il errait dans les montagnes ou le long des rivages, tour à tour partisan habile, pirate audacieux, et les pompéiens obstinés se réunissaient autour de lui, mais on ne voulait plus être pompéien. On souhaitait avoir pour chef quelqu’un qui ne fût pas seulement un nom, mais un principe, qui représentât la république et la liberté sans arrière-pensée personnelle. Il fallait que, par sa vie, ses mœurs, son caractère, il fût en opposition complète avec le gouvernement qu’on allait attaquer. On le voulait honnête parce que le pouvoir était corrompu, désintéressé pour protester contre ces convoitises insatiables qui entouraient César, déjà illustre, afin que les éléments divers dont se composait le parti fléchissent sous lui, jeune pourtant, car on avait besoin d’un coup de main. Or, il n’y avait qu’un seul homme qui réunît toutes ces qualités : c’était Brutus. Aussi tout le monde avait-il les yeux sur lui. La voix publique le désignait comme le chef du parti républicain alors même qu’il était encore l’ami de César. Quand les premiers conjurés allaient de tous côtés cherchant des complices, on leur faisait toujours la même réponse : « Nous en serons, si Brutus nous conduit. » César lui-même, malgré sa confiance et son amitié, semblait quelquefois pressentir d’où lui viendrait le danger. Un jour qu’on lui faisait peur du mécontentement et des menaces d’Antoine et de Dolabella : « Non, répondit-il, ce ne sont pas ces débauchés qui sont à craindre ; ce sont les maigres et les pâles. » Il voulait surtout désigner Brutus.

À cette pression de l’opinion publique, qui disposait de Brutus, et l’engageait sans son aveu, il fallait bien