Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/361

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ajouter des excitations plus précises pour le décider ; elles lui vinrent de tous les côtés. Je n’ai pas besoin de rappeler ces billets qu’il trouvait sur son tribunal, ces inscriptions qu’on plaçait au bas de la statue de son aïeul[1], et toutes ces manœuvres habiles, que Plutarque a si bien racontées. Mais personne n’a mieux servi les desseins de ceux qui voulaient faire de Brutus un conspirateur que Cicéron, qui pourtant ne les connaissait pas. Ses lettres nous montrent dans quelle disposition d’esprit il était alors. Le dépit, la colère, le regret de la liberté perdue y éclatent avec une singulière vivacité. « J’ai honte d’être esclave[2], » écrit-il un jour à Cassius sans se douter qu’à ce moment même Cassius cherchait dans l’ombre les moyens de ne plus l’être. Il était impossible que ces sentiments ne se fissent pas jour dans les livres qu’il publiait alors. Nous les y retrouvons aujourd’hui que nous les lisons de sang-froid ; à plus forte raison les devait-on voir quand ces livres étaient commentés par la haine et lus avec des yeux que la passion rendait pénétrants. Que d’épigrammes y étaient saisies qui nous échappent ! Que de mots piquants et amers, inaperçus aujourd’hui, étaient alors applaudis au passage et répétés malignement dans ces entretiens où l’on déchirait le maître et ses amis ! C’était là ce que Cicéron appelle spirituellement « les morsures de la liberté, qui ne déchire jamais mieux que lorsqu’on l’a quelque temps muselée[3]. » Avec un peu de complaisance, on trouvait

  1. Ceux qui employaient ces manœuvres savaient bien qu’ils prenaient Brutus par son endroit le plus sensible. Sa descendance de celui qui chassa les rois était très contestée. Plus on la regardait comme douteuse, plus il tenait à l’établir. Lui dire : Non, tu n’es pas Brutus, c’était le mettre en demeure ou en tentation de prouver son origine par ses actions.
  2. Ad fam., XV, 18.
  3. De Offic., II, 7.