Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/362

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partout des allusions. Si l’auteur parlait avec tant d’admiration de l’antique éloquence, c’est qu’il voulait faire honte de ce forum désert et de ce sénat muet ; les souvenirs du régime ancien n’étaient rappelés que pour attaquer le nouveau, et l’éloge des morts devenait la satire des vivants. Cicéron comprenait bien toute la portée de ses livres quand il en disait plus tard : « Ils furent pour moi comme un sénat, comme une tribune d’où je pouvais parler[1]. » Rien n’a plus servi à irriter l’opinion publique, à jeter dans les âmes le regret du passé et le dégoût du présent, à préparer enfin les événements qui allaient suivre.

Brutus, en lisant les écrits de Cicéron, devait être plus ému qu’aucun autre ; c’est à lui qu’ils étaient dédiés, c’est pour lui qu’ils étaient faits. Quoique destinés à agir sur le public entier, ils contenaient des parties qui s’adressaient plus directement à lui. Cicéron ne cherchait pas seulement à réveiller ses sentiments patriotiques, il lui rappelait les souvenirs et les espérances de sa jeunesse. Avec une habileté perfide, il intéressait même sa vanité à la restauration de l’ancien gouvernement en montrant quelle place il aurait pu s’y faire. « Brutus, lui disait-il, je sens ma douleur se ranimer en jetant les yeux sur vous et en pensant que, lorsque votre jeunesse s’élançait avec impétuosité vers la gloire, vous avez été arrêté tout à coup par la malheureuse destinée de la république. Voilà le sujet de ma douleur, voilà la cause de mes soucis et de ceux d’Atticus, qui partage mon estime et mon affection pour vous. Vous êtes l’objet de tout notre intérêt, nous désirons que vous recueilliez les fruits de votre vertu ; nous faisons des vœux pour que l’état de la république vous permette un jour de faire revivre et d’augmenter encore la gloire des

  1. De Divin., II, 2.