Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/371

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peuple les écouta avec surprise, sans trop de colère, mais sans aucune sympathie. Se voyant seuls, ils montèrent au Capitole, où l’on pouvait se défendre, et s’y enfermèrent sous la garde de quelques gladiateurs. Ils n’y furent rejoints que par ces amis douteux que trouvent toujours les partis quand ils paraissent réussir. Si l’on avait eu peu d’empressement à les suivre, on avait encore moins d’envie de les attaquer. Les partisans de César étaient épouvantés. Antoine avait jeté ses vêtements de consul et s’était caché. Dolabella affectait de sembler joyeux et laissait entendre qu’il était aussi des conjurés. Beaucoup quittaient Rome à la hâte et fuyaient dans les campagnes. Pourtant, lorsqu’on vit que tout restait dans l’ordre et que les conjurés se contentaient de faire des harangues au Capitole, le cœur revint aux plus effrayés. L’épouvante qu’avait causée cette action hardie fit place à la surprise d’une si étrange inaction. Le lendemain, Antoine avait repris ses vêtements consulaires, rassemblé ses amis, retrouvé son audace, et il fallait compter avec lui.

« Ils ont agi, disait Cicéron, avec un courage d’homme et une prudence d’enfant ; animo virili, consilio puerili[1]. » Il est certain qu’ils semblaient n’avoir rien préparé, rien prévu. Le soir des ides de mars, ils attendaient les événements sans avoir rien fait pour les diriger. Était-ce, comme on l’a dit, imprévoyance et légèreté ? Non, c’était système et parti pris. Brutus ne s’était associé avec les autres que pour délivrer la république de l’homme qui entravait le jeu régulier des institutions. Lui mort, le peuple reprenait ses droits et redevenait libre d’en user. On aurait paru travailler pour soi en gardant, même un jour, cette autorité qu’on arrachait à César. Or, préparer d’avance des décrets ou

  1. Ad Att., XV, 4.