Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/375

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étaient plus lointaines et plus longues, ceux qui les faisaient s’accoutumaient à vivre loin de Rome. Ils perdaient si longtemps de vue le forum qu’ils en oubliaient les passions et les habitudes. En même temps, comme le droit de cité s’était étendu, la légion s’ouvrait à des gens de tous les pays. Ce mélange acheva d’affaiblir les liens qui rattachaient le soldat à la cité ; il prit l’habitude de s’isoler d’elle, d’avoir ses intérêts séparés, de regarder le camp comme sa patrie. Après la grande guerre des Gaules, qui avait duré dix ans, les vétérans de César ne se rappelaient plus qu’ils étaient citoyens, et dans leurs souvenirs ils ne remontaient pas au delà d’Arioviste et de Vercingétorix. Quand il avait fallu les récompenser, César, qui n’était pas ingrat, leur avait distribué les plus belles terres d’Italie ; et cette distribution s’était faite dans des conditions nouvelles. Jusqu’à cette époque, les soldats, après la guerre, rentraient dans la masse du peuple : quand on les envoyait dans quelque colonie, ils y allaient perdus et comme absorbés parmi les autres citoyens ; mais alors ils passèrent sans transition de leur camp dans les domaines qu’on leur avait donnés, et par là l’esprit militaire se conserva chez eux. Comme ils n’étaient pas très éloignés les uns des autres et qu’ils pouvaient se voir, ils ne perdirent pas tout à fait le goût de la vie d’aventure. Ils comparaient, dit Appien, les travaux pénibles de l’agriculture avec les hasards brillants et fructueux des combats[1]. Ils formaient donc au sein de l’Italie toute une population de soldats prêtant l’oreille aux bruits de guerre et prêts à accourir au premier appel.

Précisément il y en avait alors beaucoup à Rome que César y avait appelés en attendant qu’il leur désignât des terres. D’autres étaient tout près, dans la Campanie,

  1. Appien, Bell. civ., III, 42.