Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/376

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occupés à s’établir, et dégoûtés peut-être de ces premières fatigues de leur installation. Plusieurs d’entre eux revinrent à Rome au bruit des événements, le reste attendait pour se décider qu’on les payât cher et se mettait aux enchères. Or, les acheteurs ne manquaient pas. L’héritage du grand dictateur tentait toutes les convoitises. Grâce à ces soldats prêts à vendre leurs services, chacun des compétiteurs avait ses partisans et ses chances. Antoine les dominait tous de l’éclat de son autorité consulaire et des souvenirs de l’amitié de César ; mais auprès de lui se soutenaient le débauché Dolabella, qui avait donné des espérances à tous les partis, et le jeune Octave, qui arrivait de l’Épire pour recueillir la succession de son oncle. Il n’y avait pas jusqu’à cet incapable Lépide qui n’eût mis plusieurs légions dans ses intérêts et ne fit quelque figure parmi ces ambitieux. Et tous, entourés de soldats qu’ils avaient achetés, maîtres de provinces importantes, s’observaient avec méfiance en attendant de se combattre.

Que faisait cependant Brutus ? L’occasion des ides de mars une fois manquée, il pouvait encore profiter de ces querelles des césariens pour se jeter sur eux et les écraser. Les gens résolus de son parti lui conseillaient de l’essayer et d’appeler aux armes toute cette jeunesse qui, en Italie et dans les provinces, avait applaudi à la mort de César ; mais Brutus détestait la guerre civile et ne pouvait se décider à en donner de nouveau le signal. Comme il s’était imaginé que le peuple s’empresserait d’accepter la liberté qu’on lui rendait, il avait cru que la restauration de la république se ferait sans violence. Une illusion le menait à l’autre, et ce coup de poignard qui commença une guerre effroyable de douze années lui semblait devoir assurer pour jamais la tranquillité publique. C’est dans cette persuasion qu’au sortir de la