Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/379

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un air menaçant pour faire croire que nos résolutions sont l’effet de nos craintes. Voici nos sentiments : nous souhaitons de vous voir vivre avec distinction dans un État libre ; nous ne voulons pas être vos ennemis, mais nous faisons plus de cas de la liberté que de votre amitié. Nous prions donc les dieux de vous inspirer des conseils salutaires à la république et à vous-même. Sinon, nous désirons que les vôtres vous nuisent le moins possible, et que Rome soit libre et glorieuse ![1] »

À Vélie, Brutus fut rejoint par Cicéron, qui, lui aussi, songeait à partir. Découragé par l’inaction de ses amis, effrayé par les menaces de ses ennemis, il avait déjà essayé de fuir en Grèce ; mais le vent l’avait rejeté sur les côtes de l’Italie. Quand il apprit que Brutus allait s’éloigner, il voulut le voir encore, et, s’il était possible, partir avec lui. Cicéron a souvent parlé avec un accent déchirant des émotions de cette dernière entrevue. « Je l’ai vu, racontait-il plus tard au peuple, je l’ai vu s’éloigner de l’Italie pour n’y point causer une guerre civile. Ô spectacle de douleur, je ne dis pas seulement pour les hommes, mais pour les flots et les rivages ! Le sauveur de la patrie était forcé de la fuir, ses destructeurs y restaient tout-puissants[2]. » La dernière pensée de Brutus en ce triste moment fut encore pour la paix publique. Malgré tant de mécomptes, il comptait toujours sur le peuple de Rome ; il pensait qu’on n’avait pas assez fait pour réveiller son ardeur ; il ne pouvait se résigner à croire qu’il n’y eût plus de citoyens. Il partait avec le regret de n’avoir pas essayé une dernière lutte sur le terrain de la loi. Sans doute il ne lui était pas possible à lui de retourner à Rome, de reparaître au sénat ; mais Cicéron était moins compromis, sa gloire forçait le respect ; on aimait à écouter sa parole. Ne

  1. Ad fam., XI, 3.
  2. Philipp., X, 4.