servi tous ces beaux discours ? Ils n’ont pas servi à faire prendre de décisions, puisque ces décisions étaient déjà prises ; mais ils les ont fait accepter de la foule, ils ont soulevé et passionné pour elles l’opinion publique, ce qui est bien quelque chose. Il faut s-y résigner, on ne gouverne plus alors par la parole, l’éloquence ne peut plus espérer de diriger les événements ; mais elle agit sur eux d’une façon indirecte, elle essaye de faire naître ces grands mouvements d’opinion qui les préparent ou les achèvent : « elle ne provoque pas des votes et des actes, elle sollicite des émotions[1]. » Si cet effet moral est le seul but qu’elle se propose à ce moment, celle de Cicéron, par son abondance et sa pompe, par son éclat et son pathétique, était faite pour l’atteindre.
Il avait d’abord mis sa parole au service du parti populaire : on a vu que c’est dans les rangs de ce parti qu’il fit ses débuts politiques ; mais quoiqu’il l’ait fidèlement servi pendant dix-sept ans, je suis porté à croire qu’il ne le servait pas toujours de bon cœur. C’étaient les excès du régime aristocratique qui l’avaient rejeté vers la démocratie ; il dut trouver que la démocratie, surtout quand elle fut victorieuse, n’était pas beaucoup plus sage. Elle lui envoyait quelquefois de terribles clients à défendre. Il lui fallait faire l’apologie de brouillons et de séditieux qui troublaient sans cesse la paix publique. Il plaida même un jour ou fut sur le point
- ↑ J’emploie ici les expressions mêmes de M. Havet, qui a mis cette idée en tout son jour dans un des trop rares écrits qu’il a publiés sur Cicéron. À ce propos, qu’il nous soit permis de regretter que M. Berger et lui n’aient pas cru devoir donner au public les excellents cours qu’ils ont fait au Collège de France et à la Sorbonne, et dont Cicéron a été si souvent le sujet. S’ils avaient cédé aux vœux de leurs auditeurs et aux instances de tous les amis des lettres, la France n’aurait rien à envier à l’Allemagne sur cette importante question.