Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/61

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de plaider pour Catilina. Il est probable que ces complaisances lui coûtaient et que les emportements de la démocratie lui donnèrent plus d’une fois la tentation de se séparer d’elle. Malheureusement il ne savait où aller en la quittant, et si les plébéiens le blessaient par leurs violences, l’aristocratie avec sa morgue et ses préjugés ne l’attirait guère. Puisque, dans les partis qui existaient alors, il n’en trouvait aucun qui représentât exactement ses opinions et qui convint tout à fait à son tempérament, il ne lui restait plus d’autre ressource que d’en former un exprès pour lui. C’est ce qu’il essaya de l’aire. Quand il sentit que l’éclat de sa parole, les fonctions qu’il avait remplies, la popularité qui l’entourait, faisaient de lui un personnage important, pour s’assurer du lendemain, pour prendre dans la république une situation à la fois plus solide et plus haute, pour s’affranchir des exigences de ses anciens protecteurs, pour n’être pas forcé de tendre la main à ses anciens adversaires, il chercha à créer un parti nouveau, formé des modérés de tous les autres, et dont il serait le chef. Mais il comprit bien qu’il ne pouvait pas tout à fait improviser ce parti et le faire naître de rien. Il fallait qu’il y eût comme un noyau autour duquel les nouvelles recrues qu’il espérait viendraient se ranger. Il crut l’avoir trouvé dans cette classe de citoyens dont il faisait partie par sa naissance et qu’on appelait les chevaliers.

Rome a toujours manqué de ce que nous appelons aujourd’hui une classe moyenne et bourgeoise. À mesure que les petits cultivateurs des campagnes abandonnèrent leurs champs pour venir habiter la ville, et « que ces mains qui travaillaient le froment et la vigne ne furent plus occupées qu’à applaudir au théâtre et au cirque[1], » le vide devint de plus en plus grand entre l’opulente

  1. Varron, De re rust., II, 1.