Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/70

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montra très mécontent, et attaqua ces barbares de ses railleries les plus cruelles. C’est qu’il voyait bien que ces Espagnols et ces Gaulois qui se promenaient la tête haute sur le forum triomphaient de Rome. Sa fierté de Romain se révoltait à ce spectacle, et je ne vois pas de motif de l’en blâmer. S’il put deviner alors ou seulement entrevoir l’émancipation générale des peuples vaincus qui se préparait, il comprit aussi que cette émancipation entraînerait la perte de l’existence indépendante, originale et distincte de son pays. Il était naturel qu’un Romain ne voulût pas payer de ce prix même la prospérité du monde.

Cette raison écartée, il y en avait une autre, spécieuse sinon vraie, dont on se servait beaucoup pour entraîner les irrésolus. On leur disait que la république et la liberté n’étaient pas intéressées dans la guerre, que c’était simplement une lutte entre deux ambitieux qui se disputaient le pouvoir. Il y avait dans cette assertion une part de vérité capable de tromper les esprits légers. Il est certain que les questions personnelles tenaient une grande place dans ce débat. Les soldats de César se battaient uniquement pour lui, et Pompée traînait à sa suite beaucoup d’amis et de créatures que lui avaient faits trente ans de prospérité et de puissance. Cicéron lui-même nous fait plusieurs fois entendre que c’est sa vieille amitié pour Pompée qui l’a conduit dans son camp. « C’est à lui, à lui seul que je me sacrifie, » disait-il quand il se préparait à quitter l’Italie[1]. Il y a des moments où il semble prendre plaisir à restreindre cette querelle dans laquelle il va s’engager, et où, en écrivant à ses amis, il leur répète ce que disaient les partisans de César : « C’est un conflit d’ambition, regnandi contentio est[2]. » Mais il faut bien prendre garde

  1. Ad Att., IX, 1.
  2. Ad Att., X, 7.