Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/73

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servir les intérêts et l’ambition d’un homme qu’ils n’aimaient pas ? Assurément il s’agissait pour eux d’autre chose. Quand ils passaient la mer, quand ils se décidaient, malgré leurs répugnances, à commencer une guerre civile, quand ils venaient se mettre sous les ordres d’un général auquel ils avaient tant de raisons d’en vouloir, ils ne pensaient pas intervenir seulement dans une querelle personnelle, mais venir au secours de la république et de la liberté menacées.

« Mais ici, ajoute-t-on, vous vous trompez encore. Ces noms de liberté et de république vous abusent. Ce n’était pas la liberté qu’on défendait dans le camp de Pompée, c’était l’oppression d’une caste sur un peuple. On voulait maintenir les privilèges d’une aristocratie pesante et injuste. On se battait pour lui conserver le droit d’opprimer la plèbe et d’écraser le monde. » À ce compte, les amis de la liberté doivent garder pour César les sympathies qu’ils accordent généralement à Pompée, car il est le libéral et le démocrate, l’homme de la plèbe, le successeur des Gracques et de Marius. C’est bien en effet le rôle qu’il s’attribuait depuis le jour où, presque enfant, il avait tenu tête à Sylla. Préteur et consul, il avait paru servir avec dévouement la cause populaire, et au moment où il marchait sur Rome abandonnée par le Sénat, il disait encore : « Je viens délivrer le peuple romain d’une faction qui l’opprime[1]. »

Qu’y a-t-il de vrai dans cette prétention qu’il affiche d’être le défenseur de la démocratie ? Qu’en devait penser, je ne dis pas un patricien, qui naturellement en pensait beaucoup de mal, mais un ennemi de la noblesse, un homme nouveau comme Cicéron ? Quelque colère qu’aient causée à Cicéron les dédains de l’aristocratie, quelque impatience qu’il ait ressentie à trouver

  1. De Bello civ., I, 22.