Page:Boissier - Cicéron et ses amis.djvu/74

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toujours sur son chemin, dans ses candidatures, un de ces grands seigneurs à qui les honneurs venaient en dormant, je ne vois pas que sa mauvaise humeur l’ait jamais porté à prétendre que le peuple fût opprimé[1], et je suppose que, lorsqu’on soutenait devant lui que César prenait les armes pour lui rendre la liberté, il demandait depuis quand il l’avait perdue, et quels privilèges nouveaux on voulait ajouter à ceux qu’il possédait déjà. Il rappelait alors que le peuple jouissait d’une organisation légale, qu’il avait des magistrats particuliers, auxquels il faisait appel des décisions des autres, magistrats inviolables et sacrés, que la loi armait, du pouvoir énorme d’arrêter le gouvernement par leur intercession, et d’interrompre la vie politique ; qu’il avait la liberté de la tribune et de la parole, le droit de suffrage, dont il trafiquait pour vivre, enfin le libre accès à toutes les magistratures, et il n’avait qu’à citer son exemple pour démontrer qu’il était possible à un homme sans aïeux et presque sans fortune de parvenir même au consulat. À la vérité, de pareils succès étaient rares. L’égalité, inscrite dans la loi souffrait beaucoup dans l’application. Les fastes consulaires à cette époque ne contiennent guère que des noms illustres. Quelques grandes familles semblaient s’être établies dans les premières dignités de l’État : elles en gardaient les abords et n’en laissaient approcher personne ; mais était-il besoin pour briser ces obstacles, que l’habileté de quelques ambitieux opposait au jeu régulier des institutions, de détruire ces institutions elles-mêmes ? Le mal était-il si grand qu’on fût forcé d’avoir recours au remède radical du pouvoir absolu ? Était-il défendu de croire qu’il serait plus sûre-

  1. Il a même semblé dire plusieurs fois que la situation des plébéiens dans la République était, à tout prendre, meilleure que celle des patriciens. (Pro Cluent., 40. Pro domo sua, 14.)