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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

longtemps trop à bas ? Ce n’est pas moi. Qu’ils jouissent, qu’ils espèrent, qu’ils reprennent courage pour les mauvais jours à venir auxquels ils ne pensent plus ! Ils ont bien mérité cet écho de victoire, et je n’attends qu’un mot, un mot qui me dise où est André, pour être le plus joyeux des joyeux Parisiens. Mais ne pas savoir si mon bon et loyal garçon n’est pas l’un de ces deux mille tués ou blessés dont parle la dépêche, est une angoisse qui, je l’espère, t’aura été épargnée. Ta sœur ou André lui-même doivent avoir trouvé quelque moyen de correspondre avec toi, et sans doute qu’à ce moment tu sais si notre couronne d’enfants est encore entière…

Il y a une expression très-vulgaire qui peindrait à merveille le changement que la dépêche de Gambetta a produit dans l’esprit de la population : retourné comme un gant, — il est absolument et complètement retourné. Peut-être la faute en est-elle à mon inquiétude personnelle qui me rend l’esprit chagrin, mais j’aimais mieux le côté grave montré naguère par l’esprit parisien, que l’espèce d’envers qu’il étale aujourd’hui. La jactance reparaît, on décide trop vite que toute la France est debout et que le général d’Aurelle va percer jusqu’à Paris ; il se trouve des gens pour marquer ses étapes et fixer le jour de son arrivée sous Versailles. Les réactions de ces grands enthousiasmes sont quelquefois fatales.

Dis aux enfants qu’on vend, pour les manger, les