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Page:Boissonnas, Une famille pendant la guerre, 1873.djvu/133

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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

saut de loup, dont les murs blancs renvoyaient une espèce de lueur ; rien ne bougeait sous le tas de feuilles, on n’entendait que la pluie, même le canon de Paris ne vibrait plus dans cet air humide. Je me décidai à appeler tout bas, notre homme sortit des feuilles, on devinait sa silhouette noire plus qu’on ne la voyait ; de visage, il n’en était plus question.

Je lui mis d’abord dans la main un flacon de bouillon chaud, le premier merci ne vint qu’après qu’il l’eut vidé ; mais ce merci avait un tel accent, il venait de si loin que quelque chose s’émut en moi et que des larmes que je ne comprenais pas bien me vinrent aux yeux. François lui dit de se hâter, car lui-même ne devait pas rentrer trop tard de peur d’éveiller les soupçons ; il lui donna un morceau de pain à manger tout en marchant, se chargea de la carnassière et entraîna le malheureux qui semblait quitter à regret l’abri et le repos de ses feuilles. Certainement il voulait me dire quelque chose pour remercier maman, mais l’émotion, la hâte de François, ne lui ont permis qu’un murmure que j’ai compris.

La pluie ne cessait pas, on se sentait transi, il me fallait rentrer seule et n’être pas vue. Je te passe cette retraite, qui n’est pas la partie la plus glorieuse de l’histoire. En retrouvant maman et le feu, j’ai fait mine de m’évanouir, et ai donné à notre pauvre mère un souci dont elle n’avait pas besoin. Elle com-

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