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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

Ne pouvant résister au tabac allemand, j’avais gagné une borne de la rue et m’y étais assise un instant. Le cocher est parvenu à me rejoindre et m’a chuchoté qu’un combat avait eu lieu l’avant-veille près de Beaune-la-Rolande et un autre hier près de Châteaudun ; dans une maison voisine se trouvaient même des blessés ramenés de la première affaire. Quoique ce pauvre Châteaudun ne fût pas dans notre direction, ce renseignement m’a effrayée beaucoup ; j’ai eu une soudaine vision de fusils français à droite, de fusils prussiens à gauche et de nous mêmes au beau milieu, qui m’a rendu les jambes un peu tremblantes. Je suis rentrée au poste pour supplier Adolphe de retourner, mais notre affaire venait justement de s’arranger. Pour concilier la prudence, disaient-ils, avec le respect dû à notre laisser-passer, les officiers décidaient que deux Prussiens monteraient sur le siège et nous conduiraient hors de la ligne des avant-postes. Notre cocher se mit dans l’intérieur avec nous, et il fallut promettre de laisser les volets de bois du coupé hermétiquement fermés dès que l’ordre nous en serait donné. Ainsi fut fait. Deux grands gaillards blonds, et souriants de leur mission, ont escaladé le siége, et nous sommes partis.

La pensée qu’on allait peut-être bientôt nous condamner aux ténèbres nous excitait à regarder de tous côtés avec un intérêt d’autant plus grand. Jamais je n’ai vu tant d’hommes blonds de ma vie.