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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

avait amené un épanchement dans le cerveau et que l’officier ne devait déjà plus souffrir, quand la pièce s’est trouvée soudainement remplie de lignards et de mobiles, en même temps qu’une vive fusillade éclatait dans le lointain, probablement sur la gauche d’Artenay.

Inspection faite des nouveaux venus, il s’en est trouvé peu de blessés, trois seulement, les autres n’avaient d’autre mal que l’épuisement du jeûne et l’excès de la fatigue. J’ai eu un moment de bonheur en coupant à ceux-là mes pains, en leur versant le café préparé pour nous. « Vous aurez même de la viande tout à l’heure, » ai-je dit avec un peu de fierté : « on va vous l’apprêter. »

« Merci beaucoup, madame, a dit en excellent français un tout jeune petit soldat, nous n’avons pas le loisir d’attendre, je pense que l’ennemi sera ici avant peu. Allons, camarades ! encore un effort !

« Oui-dà ! j’en ai assez, moi, des efforts ! répondit l’un, l’auberge est bonne, j’y reste. »

« Je n’ai pas d’opposition à ce que tu t’en ailles, hé ! le petit ! » dit un autre. « T’a pas eu les pieds gelés, toi ! »

Mais trois des affamés se levèrent, et quoique lorgnant mes grosses miches, s’allèrent placer près du petit mobile.

« Où allez-vous ? » dis-je.

« À Orléans, madame. Nous retrouverons sans