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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

une garde placée en défiance de nous. J’ai vu que le chirurgien surveillait jusqu’à ma limonade quand elle devait être bue par ses hommes. Je ne lui en veux pas, à lui, si telle est sa consigne, mais quelle misérable moralité faut-il avoir pour supposer possibles des crimes tels que ceux-là ! De pareilles choses ne peuvent être imaginées que par des gens capables de les accomplir. Grâces en soient rendues au ciel ! nous ne savons pas haïr comme eux.

Je n’impute point à notre chirurgien le soupçon qu’il laisse voir, il a une trop bonne figure pour cela ; aussi j’ai agi avec lui à la française et j’ai été lui demander s’il voudrait bien porter secours à l’un de nos hommes. Il s’agissait d’une balle, qui, ayant frappé la boite osseuse du crâne, sans doute après avoir perdu de sa force première, n’avait pas pénétré très-loin, mais avait contourné la tête et s’était arrêtée près de l’oreille ou elle causait au patient des douleurs insupportables. Je la sentais depuis hier sous le doigt, mais aucun de nous n’osait se risquer à en tenter l’extraction.

Le chirurgien, que je regardais bien en face en lui parlant, n’a pu cacher un peu de surprise, mais il m’a suivie et a fait très-bien, et avec douceur, son opération. Avant de la commencer : « Rassurez ce soldat, m’a-t-il dit en allemand, c’est amicalement que je ferai cela.

— Vous voyez qu’il n’est pas inquiet, lui ai-je dit,