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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

prussiens étaient si proches de la maison que nous sentions l’ébranlement de chaque décharge[1]. Bientôt nos canons répondirent depuis ces hauteurs de droite, mais la retraite n’en continuait pas moins, et il fallait s’attendre à recevoir l’ennemi. On se souvenait à Vendôme du sort de Châteaudun, l’appréhension y était grande. Pour moi, chère maman, vous le comprenez bien, une fois les Prussiens là, j’étais un prisonnier…

Cela était dur, et j’ai envié, bien envié le varioleux que rien ne pouvait tirer de son assoupissement.

À midi, j’ai deviné, à l’agitation contenue de mon bon et cher médecin, ce qui devait se passer dans la rue. Avec un grand effort, je suis sorti de mon lit et me suis collé aux vitres pour un instant. Une vingtaine de cavaliers, pistolet au poing, l’air sur d’eux-mêmes, arrogants et calmes, arrivaient le long du jardin du lycée. L’officier en tête prononça un commandement, le son des trompettes éclata, aigu, triomphant, odieux !… Je me rejetai dans mon lit en sanglotant ; mais c’était trop aussi, et même mon père, j’en suis sur, n’aurait pu s’empêcher de pleurer.

Le soir, on sut que le dernier train français, emmenant un solde d’approvisionnement et je ne sais plus quels personnages de la ville, avait pu s’échapper. L’ennemi avait tiré dessus sans parvenir

  1. Vendôme est tout à fait au pied de la colline de gauche.
13.