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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

de l’ordre parmi ses troupes exaspérées de se battre depuis si longtemps sans nourriture et sans repos. Ma compagnie suivit une partie de la division Deplanque, du 16e corps, sur les hauteurs de Bel-Essort qu’on lui avait assignées comme position.

À droite et en face de nous, le fracas de l’artillerie annonçait une grosse affaire et une appréhension vague serrait la gorge, car on ne se sentait pas en train. Pour gagner notre poste de Bel-Essort, nous avions dû traverser un ramassis de misérables qui faisaient peine à voir. Les uns, épuisés de faim, ayant perdu leur compagnie, se couchaient dans la neige, les autres semblaient n’attendre l’ennemi que pour se livrer. On se demandait quels effectifs les régiments ainsi abandonnés pourraient mettre en ligne.

Dans l’après-midi, nous quittâmes la crête sur laquelle notre artillerie était postée, pour tirailler au bas du coteau, dans un excellent terrain tout coupé de bouquets d’arbres, de talus et de haies. Là nous échangeâmes nos coups de fusil un peu au hasard, mais notre capitaine fut tué par un éclat d’obus. Je n’avais pas eu le temps de le connaître ; depuis ce moment je commande la compagnie.

L’ennemi s’étant replié, je ramenai mes hommes à nos batteries, qui tiraient toujours avec un succès visible. On disait l’amiral content, et je me mis à prêcher l’espérance à mes pauvres affamés transis.

On en avait besoin, d’espérance ! Le soir était venu.