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Page:Boissonnas, Une famille pendant la guerre, 1873.djvu/59

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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

heures le capitaine fut, me disait-il, incapable de penser, il se sentait comme écrasé, il se répétait : — Ce n’est pas vrai ! la capitulation n’est pas vraie ! ce n’est pas possible !… mais il avait perdu conscience de la réalité de ce qui l’entourait.

Il faisait nuit noire quand le colonel rappela les officiers auprès de lui. Une estafette venait de lui apporter deux lignes de la part de X…, un de ses amis de l’état-major général : — « Tout est perdu, on pressent les plus dures conditions. Gagnez le large si vous le pouvez encore. »

On questionna le messager, que la poudre et le péril avaient surexcité ; il conta la déroute morale de tous, l’empereur sans conseil faisant hisser comme pavillon un des draps de lit de son hôtel, et à cette vue la stupeur des uns, la rage des autres, rage impuissante, hélas ! Pendant que cet homme parlait, la conviction du désastre pénétrait peu à peu dans les esprits. Le colonel songea alors au drapeau.

Lentement, contre le tranchant de la hache d’un sapeur, la hampe fut sciée en plusieurs tronçons assez courts, puis on déchira l’étoffe comme on put, en bandes ou en carrés ; la frange d’or fut arrachée et coupée de même.

« Le colonel remit à chacun sa part, acheva M. Herbauld, voici la mienne… »

Et figurez-vous, chère maman, le capitaine qui ôte de son cou une grosse cravate en coton à carreaux,