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UNE FAMILLE PENDANT LA GUERRE.

il l’ouvre sur mon lit, un long bout de frange y était roulé. Puis il enlève ses souliers, et dans chacun, entre les deux semelles, il y avait un fragment du drapeau, l’un blanc avec un petit lambeau de rouge, l’autre tout bleu. Ah ! maman, quand j’ai vu notre vieil ami lisser de sa grosse main noire, afin d’en ôter les plis, ces deux chiffons pour le salut desquels il avait risqué sa vie, tout le bonheur de ses enfants et de sa femme ; quand je l’ai vu pleurer et sangloter devant ces trois débris et qu’il m’a dit sa joie de les avoir du moins sauvés, j’ai pleuré avec lui, chère maman, et je pleure encore en vous le répétant !

Quand chaque officier eut pris et caché sur soi un morceau de la hampe ou de l’étoffe, il restait encore l’aigle. Cette aigle avait eu le matin une aile brisée par un obus ; mais telle qu’elle était, un homme ne la pouvait porter aisément. On l’enterra au milieu du cercle des officiers, puis au-dessus de cette tombe, le colonel leur serra la main à tous et leur dit :

« Partez, messieurs, vous sauverez ainsi l’honneur du régiment et vous rendrez au pays des officiers dont il aura besoin. Pour moi, je reste avec mes hommes ; il ne faut pas qu’ils pensent que leur vieux colonel les a abandonnés. »

Silencieusement, un à un, ils partirent, ils se glissèrent le long des haies, puis sous les bois. M. Herbauld n’a rien su d’aucun d’eux.

Pour lui, il était au jour sur les bords de la Meuse