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Nous ne devons jamais rougir de la vertu.

Le Baron.

J’aime à voir qu’en votre âme elle se développe ;
Mais il faut vous résoudre à vivre en misanthrope.
Vous devez renoncer à tout amusement,
Aller dans un désert vous enterrer vivant ;
Ou de cette vertu tempérer les lumières,
L’habiller à notre air, la faire à nos manières.
J’avouerai franchement que vous me faites peur.
Orné de tous les dons de l’esprit et du cœur,
Vous allez, je le vois, si je ne vous seconde,
Vous donner un travers en entrant dans le monde ;
Vous perdre exactement par excès de raison,
Et d’un Caton précoce acquérir le surnom,
Choquer les mœurs du temps, et, par cette conduite,
Vous rendre insupportable à force de mérite.

Le Marquis.

Vos discours dans mon cœur font passer votre effroi.
Ce monde que je blâme a des attraits pour moi.
Je ne puis vous cacher que, né pour y paroître,
Je l’aime, et brûle en beau de m’y faire connoître.
Son commerce est un bien dont je cherche à jouir,
Et m’en faire estimer est mon premier désir :
J’ai, pour vivre content, besoin de son suffrage.
Dans ce juste dessein si je faisois naufrage,
Je ne pourrois, baron, jamais m’en consoler.
La crainte que j’en ai me fait déjà trembler.
Pour voguer sûrement sur cette mer trompeuse,
Je demande et j’attends votre aide généreuse.
Daignez donc me guider de la main et de l’œil ;