Page:Bonafon - Les Confidences d une jolie femme.djvu/14

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Comte en ſentit l’influence ; & comme nulle des femmes de la ſociété n’étoit réduite à briguer ſa conquête, il m’adreſſa tout bonnement ſes premiers vœux. Quelle joie j’en reſſentis ! combien ils ajouterent à la haute eſtime que je faiſois de moi-même ! Je me crus un perſonnage, dès que je pus me dire que j’avois un amant… Je pris un ton, je me donnai des airs analogues à ma nouvelle importance ; c’étoit dans le ſallon que j’allois apprendre mon rôle, & je le jouois fort paſſablement avec Rozane.

Tout le monde remarqua le goût qu’il avoit pour moi : on en badina : on eut tort ; les amours enfantins ne ſont pas autant ſans conſéquence qu’on veut bien ſe l’imaginer : nous penſâmes en fournir la preuve.

Ma mere vivoit dans une continuelle diſtraction. Ma gouvernante ne ſavoit ni voir, ni penſer à propos. Les étrangers s’amuſoient de nous : mon pere ſeul auroit pu nous arrêter ; mais des affaires le retenoient à Paris.

Ainſi livrés à nous-mêmes, dans une ſécurité profonde, nous aurions ſûrement fait bien du chemin, ſans une aventure qui fut comme le prélude de tous les chagrins de ma vie.

Un matin je perdis un éventail aſſez beau, que je cherchai inutilement dans les endroits où j’avois été. Voulant continuer ma recher-