Page:Bonafon - Les Confidences d une jolie femme.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
( 29 )

avec tant d’excès & d’opiniâtreté, que le Comte, excédé de ce torrent d’éloges, termina ſa viſite plus promptement qu’il n’en avoit eu le deſſein.

Dès qu’il fut ſorti, le Baron s’approcha de mon oreille, & me demanda ſi je ne le trouvois pas le plus généreux des maris ? Cette queſtion avoit trop l’air d’une épigramme, pour que je puſſe m’y méprendre : ſans répondre, ſans regarder celui qui me la faiſoit, j’adreſſai la parole à une femme de la compagnie… Il n’inſiſta pas.

Comme Rozane & moi avions à peu près les mêmes ſociétés, je le rencontrois partout. Ma maiſon étoit celle où il ſe montroit le moins, & jamais aux heures où je pouvois être ſeule. Il me traitoit avec un reſpect aſſommant, une cérémonie impatientante… De ſes ſentiments, pas un mot.

Je m’étois attendue à des plaintes, à des regrets, à tous les tranſports d’un amant ſacrifié ; je m’étois arrangée pour les ſoutenir convenablement : Rozane déconcertoit mes projets par ſa froide & uniforme conduite… J’en fus mortifiée extrêmement.

Réduite à douter d’un amour qui m’avoit paru d’abord inconteſtable, j’examinai les raiſons ſur leſquelles j’en avois établi la croyance : toutes me parurent équivoques ;