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Elle remonta machinalement en carroſſe, & nous regagnâmes ſon hôtel, ſans que l’une de nous deux eût rompu le ſilence.

Le diſcours de Mademoiſelle d’Aulnai, que je repaſſois continuellement, rempliſſoit mon ame de terreur. Mon ſang, glacé d’abord par l’impreſſion de la crainte, avoit repris une circulation ſi rapide, que j’en étois ſuffoquée. Je croyois entendre toujours la voix affreuſe du déſeſpoir, & voir l’image de la mort errer autour de moi… En m’éloignant de ce funeſte lieu, j’emportois, à ce qu’il me ſembloit, des ſouvenirs capables de répandre les ténèbres de la douleur ſur tous les jours de ma vie.

Je ne comprenois pas ſur quoi ſe fondoit une partie des reproches que ma ſœur avoit fait éclater. Je concevois encore moins la patience avec laquelle ma mere les avoit ſoutenus. Ce ne pouvoit être, ſelon moi, que l’ouvrage de la ſurpriſe, ou de cette ſorte de reſpect qu’on accorde aux dernieres paroles d’un mourant.

En entrant chez elle, Madame de Rozane s’aſſit, avec l’action d’une perſonne plus indignée qu’abattue. Son teint & ſes yeux s’animoient. Elle me regardoit, baiſſoit la tête, héſitoit, comme quelqu’un qui s’embarraſſoit dans la ſurabondance des choſes dont ſon eſprit étoit agité.