Page:Bonafon - Les Confidences d une jolie femme.djvu/37

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temps, l’abſence avoient preſqu’effacé ſon image ; elle ſe retraça dans ma mémoire, ſous une forme d’autant plus ſéduiſante, que j’avois ce beſoin d’aimer, par lequel s’embelliſſent tous les objets capables de le ſatisfaire… Je ne voyois que des plaiſirs… je ne ſentois rien que d’une manière tumultueuſe… Ce n’étoit point le trouble de l’amour, c’étoit l’efferveſcence d’une imagination qui s’allume, & qui conduit quelquefois plus loin que le ſentiment. Dès que je pus parler à ma ſœur, je lui contai mes rêveries avec le feu qu’elles m’avoient communiqué, joint à celui qui m’étoit naturel ; mais l’âme encore fermée aux preſtiges des paſſions, elle ne pouvoit aſſez s’étonner du délire de la mienne. Que vous êtes ſinguliere ! me dit-elle. Hier indifférente pour le jeune Rozane, vous vous en ſouveniez à peine, & rejettâtes froidement la penſée de votre mariage avec lui. Aujourd’hui cette penſée vous tranſporte ; le Comte vous enchante ; il ne vous reſte pas même une incertitude. Comment avez-vous fait pour en venir là ſi promptement ? — J’ai réfléchi… j’ai tout examiné, & n’ai rien apperçu que de convenable dans cette union. Rozane eſt homme de qualité, fils de celui qui va être mon beau-père ; Madame de Tournemont ne ſauroit mieux faire que d’avoir