Page:Bonafon - Les Confidences d une jolie femme.djvu/41

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quoique je fuſſe auprès de lui, il n’eut préciſément que les attentions dont il ne pouvoit pas ſe diſpenſer. Sans chercher, ſans éviter mes regards, il me laiſſoit voir dans les ſiens une indifférence ſi décidée, que je n’avois pas même la reſſource d’y pouvoir ſoupçonner de la politique. Quel début ! quelle chute pour mon amour-propre ! car il faut l’avouer, malgré tout ce que je croyois ſentir, c’étoit encore lui qui jouoit le plus grand rôle.

Les jours, les ſemaines ſe ſuccédoient, & Rozane ne changeoit point. Je me demandois comment à vingt ans, paroiſſant né ſenſible, il réſiſtoit à la vue continuelle de mes charmes ; pourquoi il me refuſoit juſqu’au tribut de louanges que les autres hommes s’empreſſoient à me prodiguer. Ce fut Marcelle, mon ancienne gouvernante, qui m’éclaira ſur cette ſingularité.

J’appris d’elle, que le Comte, peu riche du chef de ſa mere, n’avoit point vu, ſans chagrin, les ſecondes noces du Marquis, ſur-tout avec Madame de Tournemont, dont le caractère lui déplaiſoit infiniment. Que, loin d’employer les moyens propres à le ramener, elle l’aliénoit de plus en plus par la hauteur de ſa domination ; & qu’en qualité de ſa fille, je partageois l’éloignement qu’il avoit conçu pour elle.