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qu’une fuite de celle où j’étois condamnée ſous les yeux de ma mere.

Notre intimité ſurprit le Comte : elle l’embarraſſa : il s’en plaignit ; mais Mademoiſelle de Villeprez, moins par confiance que pour faire parade de ſa conquête, & ſatisfaire à tous ſes goûts, donna elle-même l’exemple de la liberté.

Elle avoit toute l’adreſſe imaginable pour prétexter des converſations avec ſon amant ; ſa mere, toute la ſécurité qu’il falloit pour ne les point troubler. Quant à moi, j’étois traitée comme un tiers ſans conſéquence, avec lequel on ne ſe gênoit point.

Que je ſouffris dans cette ſinguliere poſition ! Plus Rozane marquoit d’amour, plus j’en prenois pour lui ; plus les expreſſions de ma rivale me paroiſſoient froides & recherchées en comparaiſon de ce que je ſentois. Combien de fois je me rappellai les entretiens que j’avois eus avec ma ſœur ſur cette matiere, & les idées fauſſes que je me faiſois alors du bonheur ! je ne le voyois plus dans le monde, dans ſes plaiſirs, dans les jouiſſances de la fortune… tout m’étoit indifférent, excepté le ſeul homme pour qui je l’étois davantage.

Livrée au ſupplice d’une paſſion malheureuſe, moleſtée continuellement par ma mere, je tombai dans une mélancolie dont ma