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Canadiennes d’hier

à toutes celles de son espèce de la charmante surprise qu’elle m’avait apportée. Depuis que je suis instruite de sa mauvaise conduite, j’en veux à toutes les autres de la déception dont elle est la cause. Pourtant je devrais être contente de pouvoir en rejeter sur elle la responsabilité. Avant de recevoir votre lettre, je ne m’en prenais qu’à moi de ce manquement à votre promesse. Je craignais d’avoir été impolie. Je me reprochais d’avoir eu trop d’amour-propre pour avouer tout de suite mes infirmités : ma demi-surdité et mes rhumatismes qui me tiennent assise dans ma bergère, les pieds posés sur un tabouret, quand je devrais me lever pour accueillir mes visiteurs. Que d’autres reproches ne me suis-je pas faits, en faction auprès de la fenêtre de ma grande salle, ce jeudi que j’attendais votre visite avec tant d’impatience ! Il me semblait que j’aurais en plus de présence d’esprit, ce jour-là, ayant eu le temps de me ressaisir un peu. Depuis que j’ai reçu votre si charmante lettre, je partage presque la bonne opinion que vous avez de moi et je vous en suis reconnaissante.

Petite fille, votre apparition m’avait bouleversée. J’aurais été moins troublée, je crois, de voir arriver devant ma porte la berline de votre grand-père attelée de Suzette, sa grande jument rousse, que de vous voir descendre de cette voiture moderne, en évocatrice du passé. Vous avez réveillé en moi une foule de souvenirs engourdis dans le coin le plus secret de mon cœur : quelques-uns vieux de soixante ans, d’autres moins anciens de moitié mais également chers. Et je vous avais reconnue sur le coup,

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