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Canadiennes d’hier

pour quelques jours ou pour quelques semaines. Elle va les cueillir à la gare, accompagnée de son mari, cela va sans dire ; mais c’est elle qui fait les honneurs de la ville à ces messieurs et donc tous les frais de la conversation. Elle vous a une aisance, un aplomb qui me confondent. Gustave, lui, perd toute sa faconde de businessman ; il est encore plus intimidé que moi en ces occasions. À table, il ne desserre pas les dents, même pour manger. Il sourit en levant les sourcils, il a l’air de goûter les mots spirituels et la nourriture par la même pression de la langue sur le palais, ou bien il paraît absorbé par quelque grave problème. Je suis convaincue que les enthousiasmes littéraires de sa femme l’ennuient profondément ; mais son petit amour-propre y trouve son compte. Je vous dirai, gros’maman, que je préfère écouter les conférenciers développer leurs idées, à l’aise et sans interruption, dans leurs causeries publiques, que de les entendre répondre à un interrogatoire, en société. Et puis, je vous avoue que je goûte mieux le charme de leur langage quand je ne crains pas d’être mêlée à la conversation.

Il faut des femmes comme ma sœur pour faciliter les relations entre la mère patrie et le Canada, il en faut une par ville : c’est assez. Il faut aussi de braves femmes d’habitants et en bien plus grand nombre pour conserver à la province de Québec sa physionomie française. Moi, j’aurai de l’assurance pour recevoir les visiteurs de marque dans quinze ans, quand je serai entourée d’une douzaine de têtes brunes et blondes qui seront ma joie et mon orgueil. J’aurai pleinement conscience alors d’avoir fait de

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