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Canadiennes d’hier

On a bien fait, ma petite fille, de ne pas emmener me voir M. René Bazin. Ce n’est pas moi qui aurais pu faire honneur à la province de Québec et à St-Jean-Port-Joli par ma présence d’esprit. J’aurais été trop intimidée pour parler sensément. Par exemple : je sais que « La Terre qui meurt » est celui de ses romans qui a le plus de portée et de valeur littéraire ; j’aurais été assez sotte pour lui dire que je préfère « la Sarcelle bleue ». Je sais aussi qu’il n’aurait pas pu s’attendre à voir des tableaux de maîtres aux murs de mon salon ; mais il aurait eu envie de rire des agrandissements au crayon des portraits de mes pauvres parents. J’aurais eu honte de mes souvenirs de famille et je lui en aurais voulu à cause de cela. J’ai trop conscience de mes lacunes, — si je puis m’exprimer ainsi, — et je suis trop timide pour désirer recevoir de ces visiteurs extraordinaires ; mais j’aurais bien aimé entendre parler tous ces messieurs de la Mission française. J’ai lu leurs discours dans les journaux et les larmes m’en venaient aux yeux. C’est mère supérieure et toutes nos autres religieuses qui auraient été heureuses de les voir et de les écouter, elles sont si fières de leur beau pays et de ses hommes de talent ! Savez-vous une chose ? On ne leur fait pas plaisir en parlant contre leur gouvernement. C’est tout juste si elles ne l’approuvent pas de les avoir persécutées.

Passons maintenant à vos petites affaires personnelles. Vous avez réponse à tout, chère fille, et vos arguments sont convaincants, quand on n’y regarde pas de trop près. Je vous approuve de vouloir gar-

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