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Canadiennes d’hier

der secret, quelques mois encore, celui qui doit emporter, selon vous, les dernières hésitations. Ceci posé, permettez-moi de vous dire que vous attachez une importance exagérée à la question pécuniaire. Je comprends que, dans l’incertitude où vous êtes des sentiments de notre jeune ami, vous soyez un peu nerveuse et portée à ne voir la situation que d’un côté : le vôtre.

Mettez-vous, un peu, à la place de l’autre partie, vous verrez que le problème se pose de façon différente et votre jugement y gagnera en sûreté. Regardez : vous trouvez tout naturel qu’on puisse, sans aimer l’argent pour lui-même, être sensible aux avantages qu’il procure, puisque vous êtes si heureuse d’en avoir et que vous comptez sur votre dot pour aplanir les difficultés. Cependant vous exigez de notre Jean un amour qui ne tienne compte d’aucune considération extérieure. Je me tromperais fort si notre beau garçon avait jamais eu l’intention d’épouser une jeune fille uniquement pour son argent ; il a l’air satisfait de la part qui lui est faite, et le cultivateur, le vrai, obéit, même quand il ne s’en rend pas compte, à des motifs qui peuvent paraître mesquins aux yeux des profanes, mais qui sont d’un intérêt infiniment supérieur à la question de gros sous, ou du moins qui ne s’y rapportent qu’indirectement. Il sait, d’instinct, ce qui peut être favorable ou nuisible à la prospérité de sa terre et au maintien des traditions familiales.

Ce n’est pas difficile de vous aimer, Sylvie, vous avez ensorcelé tout le monde ici ; comment Jean pourrait-il résister à l’attrait que vous inspirez,

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