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Canadiennes d’hier

suis bien gardée de le dire. J’avais hâte qu’il parte afin de reprendre le cours de mes agréables pensées.

Je parlais tout haut dans ma chambre, en passant ma robe de foulard bleu à pois blancs, en mettant la dernière main à ma toilette. Je composais un marivaudage — demandes et réponses — des plus agréables, qui finissait par une proposition de mariage. Il était bien deux heures quand j’ai sursauté au centième coup de sonnette de la journée. J’entendais Cati — poum, poum, poum — aller ouvrir en grommelant, puis monter l’escalier en s’arrêtant à chaque marche pour souffler. Elle portait avec précaution un paquet qu’elle déposa sur la table de chevet en disant :

« Un livreur d’épicier que j’connais pas me l’a mis dans les mains, puis il s’est sauvé aussi vite qu’il était venu ; moi, je pense qu’il s’est trompe de porte. »

Du premier coup d’œil, j’avais vu, écrit de votre main, dans un coin du colis : « Politesse de M. Leclerc. » Toute ma joie s’était envolée. J’eus à peine la force d’articuler :

« C’est de la tire que Mme Tessier nous envoie, mets-la dans la glacière. »

Cati n’avait pas eu le temps de tourner le dos que je m’étais jetée à plat ventre sur mon lit. J’étais si déçue, si malheureuse que je ne pouvais même pas pleurer. Mon cœur battait à grands coups, puis s’arrêtait. Je prenais de grandes aspirations pour le remettre en marche et je soupirais encore désespérément deux heures après, lorsque Cati vint tout doucement m’appeler :

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