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Canadiennes d’hier

l’après-midi ; c’était plus fort que moi. Je ne tenais pas en place. La sonnette me donnait sur les nerfs et Dieu sait si elle a carillonné dans le courant de la matinée. Tous les vendeurs de fruits et de légumes, les arrangeurs de parapluies, les affileurs de couteaux, tous les « quêteux » de la ville s’étaient donné le mot, je crois, pour venir tirer le cordon. Le doux temps les faisait tous sortir. Ce jour-là, en effet, le printemps faisait son entrée solennelle dans sa bonne ville de Québec. Les bourgeons éclataient, les oiseaux chantaient, un recueillement de Fête-Dieu planait dans l’air qui sentait l’eau d’érable. Dans la maison, il faisait une chaleur insupportable, même en tenant toutes les fenêtres ouvertes. Papa avait dit en sortant : « Laissez le calorifère s’éteindre ; si le temps se refroidit vers le soir, il y aura toujours la ressource de faire du feu dans la grille de la salle à manger ou dans celle du salon. »

Vers midi, j’avais réussi à reprendre mes esprits et c’est très posément qu’au dîner j’ai dit à papa que vous m’annonciez la visite d’un jeune homme, rencontré chez vous à Noël, qui devait nous apporter de la tire d’érable faite par lui mais offerte par vous… pour nous sucrer le bec, ai-je ajouté en riant. Il s’est écrié :

« Elle doit être bien bonne ! il y a longtemps que je n’en ai mangé venant directement de la « cabane »… Mme Tessier nous gâte… elle est vraiment très aimable ».

Je pensais en moi-même : elle l’est encore plus que tu ne le crois, va, pauvre papa, mais je me

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