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Canadiennes d’hier

— je me suis senti à l’aise tout de suite. Il a une politesse pas gênante ; c’est un vrai monsieur !

— C’était le bon temps de faire la grand’demande. Vous trouviez peut-être la demoiselle trop laide ?

— Elle est bien trop jolie et surtout trop haut placée pour moi. Vous vous moquez, madame Tessier, vous savez bien que je ne dois pas penser à elle.

— Néanmoins, vous avez pensé à elle continuellement depuis que vous la connaissez, Jean, vous venez de le dire.

Il avait un doigt de rouge sur le front et une buée sur les yeux. Il ne répondit pas de vive voix, je vis qu’il disait en lui-même :

« C’est pas possible, ce serait trop beau… J’aurais pu être de sa classe, mais je n’en suis pas. Elle n’accepterait pas la vie que je pourrais lui faire. Même si elle ne devait pas travailler aux champs et à la laiterie, notre milieu lui paraîtrait trop commun ; elle serait malheureuse et moi aussi. »

J’ai répondu à ses pensées :

« Si elle vous aime, Jean, tout lui paraîtra beau, toutes les tâches lui sembleront faciles. Chez son père, elle est forcément un peu désœuvrée, il y a si longtemps que Cati dirige la maison, Sylvie ne peut pas faire autrement que de s’en remettre à elle. Je suis sûre qu’elle préférerait souvent prendre une part plus active à la conduite de leur intérieur. Quand elle se sentira responsable du bonheur et de la prospérité d’un mari bien-aimé, de l’avenir de ses enfants, de la conduite de ses employés, vous

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